Les arbres ressentent la peur et la transmettent à leurs congénères de la forêt*. Cette information m’a télescopée au beau milieu d’une réflexion que je mène sur le rôle des managers dans les transformations, et la question complexe de leur engagement. Et si comme les arbres, les managers avaient peur. Que ferait-on ?
Enjeu digital : si l’on ne se transforme pas, l’entreprise est en péril. Enjeu organisationnel : si l’on ne déverticalise pas, on deviendra « has been ». Enjeu générationnel : si l’on n’intègre pas correctement les Y et les Z, ils s’en iront. Enjeu d’innovation : si l’on ne réinvente pas notre offre, le concurrent nous mange…
A chaque nouvel enjeu de transformation, point de salut sans un management acteur-animateur-traducteur-libéré, à l’épicentre du changement. Et c’est parti pour 16 leviers, 4 piliers, 10 clés, 5 vérités… On a l’embarras du choix parmi des dizaines de solutions intégrées pour faire du management le levier salvateur du changement.
On mobilise à qui mieux mieux « le management », mais force est de constater que « les managers », eux, sont en retrait. Suite à une « grand-messe » du management où tout a été fait pour qu’il comprenne, qu’il aime et qu’il s’engage, seulement 10% des managers restituent la stratégie à leurs collaborateurs. Un an après le lancement du Réseau Social d’Entreprise, alors que l’on a multiplié les actions de sensibilisation digitale envers le management, au mieux 25% des managers ont complété leur profil et 4% ont le réflexe d’aller y chercher des idées neuves. On pourrait multiplier longtemps de tels exemples.
On invoque copieusement le management, rarement les managers : cette femme ou cet homme qui se débrouille avec son équipe, qui jongle avec les urgences, qui fait le tampon pour adoucir les injonctions, qui se demande parfois s’il est vraiment à sa place, et qui entend en bruit de fond qu’il est la clé de réussite de toutes les transformations.
Et si ces managers avaient peur ? Et si, comme les arbres, il transmettaient en réseau cette émotion coupable à leurs pairs ? Qu’est-ce qui les désengage ? Qu’est-ce qu’ils « désaiment » ? De quelle « décharge mentale » auraient-ils besoin, individuellement ? L’entreprise élude ces questions gênantes. Elle traite de ce qu’il faut ajouter plutôt que de ce qui manque à l’engagement. Nouvelle sensibilisation, Hackaton dans une start-up, refonte du dispositif de communication, ajout d’une WebTV dédiée (parce que la vidéo, ça engage…), création d’une communauté de managers… Bien entendu, ils seront sincèrement reconnaissants qu’on s’occupe d’eux. Mais les lignes ne bougeront que peu.
Parce qu’elles font appel à la sphère émotionnelle, les raisons du désengagement sont par nature individuelles. Pourtant, en questionnant les craintes, freins, doutes, et leurs besoins concrets et quotidiens des individus et en additionnant leurs réponses, il n’est pas rare de voir surgir quelques thèmes majeurs, des peurs non dites mais pourtant très partagées. Sur la base de cette connaissance, il est possible de concevoir des dispositifs à taille humaine, qui viendront chercher chacun dans sa zone.
Respecter les craintes et les freins des managers, se placer à côté d’eux. Regarder les menaces qu’ils identifient, considérer l’entreprise de leur point de vue : voir ce qu’ils voient, partager ce qu’ils perçoivent, questionner ce qui les questionne, pour finalement leur proposer des outils à leur main.
Accuser réception. Quitter la position haute. Ce peut être reformuler les inquiétudes provoquées par une réorganisation, nommer les difficultés de l’entretien annuel, faire le bilan mitigé d’un RSE dont on ne sait pas quoi faire, confirmer que l’élaboration du budget est une sinécure imparfaite, lister les sollicitations nouvelles faites au managers dans le cadre du nouvel SIRH… C’est le point de départ pour construire des dynamiques d’engagement réellement orientées client, parce que juste adaptées au réel, totalement humaines.
Et à l’occasion de l’élaboration de tels dispositifs managériaux, il n’est pas rare de découvrir que finalement, le manager est un collaborateur comme les autres et que rien ne le libère plus que d’être pris juste comme tel.
Et les collaborateurs, eux aussi, sont des arbres comme les autres…
*C’est la découverte révélée par des scientifiques et Peter Wohlleben, l’écrivain et forestier auteur du best-seller « la vie secrète des arbres ». Ne ratez pas le documentaire de Jupiter Films : « l’intelligence des arbres »http://www.jupiter-films.com/film-intelligence-des-arbres-l-75.php
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